Pourquoi le tricot-graffiti en temps de grève?
D'abord comprendre de quoi on parle:
Le tricot-graffiti (yarn bombing, yarn
storming, guerilla knitting) est un sous-mouvement du grand
mouvement international en art contemporain bien connu sous le terme anglais de
street art. Quand on parle de street art, il s'agit avant tout
d'interventions qui n'ont pas été financées, commanditées, ou reliées de
quelconque façon avec une institution (galerie, musée, centre d'artiste ou corporation
culturelle). Ce sont donc des initiatives de groupes, d'individus, de citoyens
ou d'artistes qui s’engagent à créer un dialogue avec le public sans passer par
l'entremise du champ des arts. Les médiums, les moyens, les envergures et les messages
sont aussi multiples qu’est grand le nombre de participants à ce phénomène
datant déjà de plus de 30 ans. Le tricot-graffiti est une branche du street
art relativement jeune, mais depuis son essor en 2005, il s'est trouvé si
populaire qu'aujourd'hui on peut parler de mouvement possédant un rayonnement
assez impressionnant avec des tricot-graffiteurs et tricot-graffiteuses actifs
et actives sur les cinq continents. C'est gros, c'est populaire, et c'est aussi
à dans notre belle métropole québécoise. Il y aurait par année plus d'un
vingtaine de personnes s'adonnant à cette pratique, juste à Montréal. Le tricot-graffiti
consiste, concrètement, à enrober le mobilier urbain de laine fait-main de
manière anonyme. Dans la rue, ces poteaux et autres installations de la ville
sont de l’ordre de l’espace public, et c’est cette notion que le yarnbombing et le street art abordent plus précisément.
Mais en quoi ces "installations
ludiques" peuvent-elles être pertinentes au mouvement étudiant?
La question est légitime, et plusieurs pistes
peuvent permettre de réfléchir afin d'arriver à une réponse exhaustive. Il est
plutôt facile de voir les bienfaits des activités socialisantes et inclusives
comme nos sessions d'atelier/discussion qui s'inscrivent dans la perspective de
d'une mobilisation pour la cause étudiante sous diverses
formes. Lors de nos activités ouvertes au public, il y a proposition d'ouverture
d'un espace convivial ou chacune et chacun se sentiront à l'aise de s'exprimer
et réfléchir en groupe. Les participants et participantes développent aussi un
sentiment de fierté et de collectivité en contribuant à la construction d’une
œuvre commune. Mais les installations dans la rue peuvent aussi s'inscrire de
pair avec la mobilisation étudiante actuelle.
Le tricot-graffiti surprend, au coin de la rue,
le citoyen qui a la chance de le remarquer. Dès ce premier contact, une
réflexion s'enclenche; "qu'est-ce que cela?", "pourquoi
aurait-on fait un chandail à ce vulgaire parcomètre?", "qui est passé
par là?". Cette seule provocation déroge au quotidien typique du passant,
et lui propose de reconsidérer sa relation à l'espace public en le questionnant
sur son environnement direct. Quelques pistes de réponses peuvent se
proposer ; le contraste créé entre le sentiment positif associé au tricot
(la douceur, la chaleur, les couleurs vives, les grands-mamans) et la froideur
aseptique du béton ou du métal rouillé de la rue permet de revoir la relation
désengagée des passants à leur environnement direct, la gratuité du geste posé
propose un contre-exemple à la marchandisation du temps, l’anonymat de
l’installation favorise le collectif plutôt que l’individuel.
En temps de grève, les étudiants et citoyens
cherchent à stimuler un débat public sur les enjeux sociaux en cause. Toutes
les tactiques sont bonnes pour attirer l’attention et provoquer une réflexion.
La réappropriation visuelle et physique de l‘espace public est donc nécessaire.
Évidemment, un tricot rouge au coin de la rue Sanguinet et Sainte-Catherine ne
sera, à lui-même, pas en mesure d’informer les passants sur la raison de sa
présence. Mais il questionne. L’art ne cherche pas non plus à imposer trop
fortement une seule possibilité d’interprétation. Pour un ou une initiée, les
installations écarlates de notre collectif aux alentours des campus rappellent
la grève, elles marquent le territoire de la lutte en s’agrafant à l’espace
public partagé par tous les citoyens et citoyennes. Car l’éducation est bel et
bien l’affaire de tous les citoyens et citoyennes.
De plus, le tricot-graffiti, étant pratiqué par
des hommes et des femmes, permet de dé-genrer une pratique traditionnellement
exclusivement féminine et de ce fait revendique une plus grande ouverture face
aux identités plurielles. Féministe, le tricot-graffiti se réapproprie la
pratique historiquement recalée à la sphère domestique pour la revaloriser en
la présentant sous un nouveau jour. Le tricot-graffiti refuse la classicisante
hiérarchisation des disciplines artistiques entre ‘beaux-arts’ et ‘artisanat’.
Le domestique relève lui aussi de la sphère politique!
Comme tout art, le tricot-graffiti peut
s’interpréter n’importe comment. Comme toute pratique, le tricot-graffiti peut
se pratiquer avec n’importe quelle perspective en tête. Mais voilà la nôtre.
Nous voulons questionner;
Nous voulons faire sourire;
Nous voulons une ville inclusive et créative;
Nous voulons une grève inclusive et créative;
Nous voulons une éducation au service des
peuples, libre et accessible.
Je m'incline bien bas devant toutes vos actions plus inventives les unes que les autres! J'ai aussi pris certaines de vos interventions artistiques en photo!
RépondreSupprimerSylvie Béland, enseignante membre du groupe "Profs contre la hausse"